Des Tours à Paris, c’est possible mais…

Des Tours à Paris, c’est possible mais…
5 mai 2009 gdgraphisme

DES TOURS À PARIS, C’EST POSSIBLE MAIS…

Article paru dans la rubrique DEBATS du FIGARO daté du mardi 8 janvier 2008

Une capitale qui veut rayonner internationalement ne peut se figer dans ses murs anciens, dans une posture rigoureusement passéiste. Ces dernières décennies, Paris a pu s’étendre en récupérant les friches industrielles, ou ferroviaires, mais les terrains disponibles tendent à s’épuiser. Aujourd’hui le centre est doublement bloqué : par ses limites extérieures, matérialisées par le boulevard périphérique, par ses règles intérieures qui délimitent les constructions en hauteur et en densité. Dans ce contexte, développer des tours le long des périphériques peut sembler une idée séduisante puisqu’elle autorise de nouveaux projets urbains en évitant de modifier la géographie administrative et politique qui   sépare Paris de sa banlieue, tout en préservant le statu quo qui s’applique au centre de Paris. On doit pourtant s’interroger : alors que les bâtiments de grande hauteur avaient été bannies du paysage parisien, et que de nouveaux projets sont initiés par le Maire de Paris, qu’est-ce qui permet de croire que nous saurons faire mieux cette fois, que pour les tours du XIII arrondissement, celles du Front de Seine du XV ème arrdt, ou la tour Montparnasse ?

Les tours modernes, si pertinentes quand on les découvre à New York, à Berlin et à Tokyo, dérangent le paysage parisien. A Manhattan, l’alignement de la rue reste identique quel que soit la hauteur de l’édifice qui la borde. Au pied de la légendaire Chrysler Building, par exemple, il faut lever le regard pour prendre conscience du gabarit de l’immeuble. De la même manière, dans la City de Londres, la magnifique Gherkin Building construit par Sir Norman Foster, vient s’ouvrir sur le trottoir de la rue, comme un simple immeuble Londonien. Chez nous, un esprit de système associé à une réglementation souveraine, conduisent à édifier nos buildings sur des dalles de parking ou au milieu d’aires engazonnées, mais jamais en bord de rue, de plain-pied avec elle.

Le quartier de la Défense constitue un concentré de tous ces défauts, et son succès se fait au prix de sa complète autarcie par rapport à ce qui l’entoure (qui l’en tour ?). On y a fait table rase du passé. On s’est imposé la réalisation de kilomètres carrés de parkings, inutilisés et inutilisables, qui augmentent considérablement les coûts de construction et mettent le rez-de-chaussée de la ville à l’équivalent d’une hauteur d’immeuble par rapport aux villes avoisinantes. Comme son nom l’indique, on a constitué la Défense en place forte, avec ses donjons et ses douves. Qui donc se sentait ici assiégé? L’Etablissement Pour l’Aménagement de la Défense, émanation munificente de l’Etat central, qui venait exproprier de leurs terrains, les collectivités locales avoisinantes, se plaisait à leur imposer la toute puissance de ses espaces publics balayés par les vents. De nombreuses pièces d’art et quelques improbables feuillus, disposés là pour atténuer les nuisances du lieu, parviennent encore aujourd’hui à nous faire trouver l’endroit agréable, dès lors qu’on n’y séjourne par beau temps, et pas trop longtemps. C’est le même tropisme qui peut conduire tout aménageur à réaliser son opération de manière autonome, pour mieux s’extraire de l’environnement et en maîtriser le déroulement. Et c’est ainsi que furent construits, mais avec beaucoup moins de moyens, les ensembles HLM tellement critiqués aujourd’hui.

Certes, une tour construite au troisième millénaire n’aura pas le même aspect que ses devancières. Il suffit d’ouvrir les journaux pour mesurer l’impact de la mode et des techniques, qui, conjugués, remodèlent le visage de l’architecture. Images empruntes de démesure, comme savent si bien le faire les architectes, mais en guise de réflexion, on ressort le vieux discours de Le Corbusier sur la ville dégagée et ensoleillée, discours qui a produit au mieux le parvis de la Défense, et au pire, des barres, des tours, des dalles, des esplanades. La raison de cette impasse : L’implantation souhaitable des bâtiments hauts le long des rues se heurte au principe premier de l’urbanisme français, le prospect, c’est à dire la règle qui impose devant chaque façade, un vide proportionnel à sa hauteur. Plus un édifice est élevé, plus il requiert d’espaces non construits à sa périphérie. Ainsi, un bâtiment placé à l’alignement de la rue doit sensiblement correspondre en hauteur, à la largeur de la voie qu’il borde. C’est pourquoi, on peut vérifier le particularisme français qui veut que la construction des tours s’avère moins rentable que le tissus ancien,  en terme de densité construite et en terme économique!

Si l’on maintient l’objectif de mettre Paris en mouvement, deux choix sont encore possibles, assorti chacun d’une condition suspensive. Soit le remodelage des circonscriptions pour la création d’un grand Paris – il faudra alors implanter dans les nouveaux arrondissements de la périphérie, les grands projets de développement à venir, de manière à leur conférer l’attrait et l’apparence de la centralité. L’autre choix serait de densifier Paris en hauteur ce qui nécessite de repenser les conditions de conservation du bâti ancien. Aujourd’hui, chacun sait que les administrations du patrimoine sont en position de faire barrage à une telle politique qui les heurterait de front. Le corps de fonctionnaires spécialisé des Architectes des Bâtiments de France (ABF), focalisé sur les seules questions de la conservation du patrimoine, s’interdit aujourd’hui d’intégrer à ses priorités, des considérations hétérogènes novatrices. Ses représentants  sont contraints par statut, d’appliquer à la lettre la politique pour laquelle il sont missionnés, en l’espèce, la conservation. Il sera donc utile, si l’on choisit cette seconde voie, de requalifier la mission des Architectes des Bâtiments de France en Architectes du Patrimoine et de la Création Architecturale.

Quoi qu’il en soit, la modernisation de notre capitale ne se fera pas, à terme, en faisant l ‘économie d’une refonte complète de notre grille d’analyse, et de choix politiques forts. Peut-être n’y est-on pas encore prêts. Pour l’heure, si la tentative du Maire de Paris fait fi de ces données, elle se soldera par la construction d’une architecture autarcique, hors des rues de la ville. Alors que la politique actuelle de la municipalité vise à réduire le nombre des voitures, il sera assez réjouissant de découvrir ce paysage du Paris moderne, visible seulement depuis l’autoroute périphérique. Encore un château fort, dira-t-on !