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Nicolas Nahum est l’auteur d’une série d’articles sur la ville et l’architecture, publiés dans les quotidiens LE FIGARO, LE MONDE et les revues ESPRIT et URBANISME. Leur point commun, contribuer à faire évoluer la perception de l’urbanisme de manière à donner une place centrale aux questions de règlementation, de procédure et de gouvernement. La ville procède de l’action des hommes, il est vain de chercher à agir directement sur elle sans interroger nos mœurs politiques.


  • QUAND JE ROULE DANS PARIS, JE PENSE À KAFKA

    Article paru dans la rubrique DEBATS du FIGARO daté du samedi 13, dimanche 14 octobre 2007

    Nul sujet ne passionne autant les architectes que la ville. Quand le Président de la République déclare que « la force architecturale est un indicateur avancé de la société, » et qu’il complète son propos, en affirmant « qu’il n’y a pas assez de débat sur  le contenu politique de l’architecture » il joue sur une corde sensible.

    On ne peut ignorer cependant qu’une évolution rapide est déjà à l’œuvre. En prenant la capitale comme modèle des transformations futures, les thèmes en sont les suivants : réduction de la place accordée aux automobiles, création de quelques opérations phares de transport en commun en site propre, création de pistes cyclables. De nombreux parisiens sont satisfaits de ces tendances générales. La spectaculaire popularité des vélos publics (vélib) les conforteront dans cette voie. Les intentions sont bonnes, le procédé semble fonctionner, seuls de mauvais esprits y trouveront à redire.

    Bien sûr, il n’aura pas échappé au public quelques dysfonctionnements, parfois kafkaïens dans le dessin des voies, notamment la très grande complication des circulations que ces réseaux nouveaux génèrent. Plus encore, la variation du nombre des accidents de la circulation occasionnée par ces changements déroutants n’est pas connue, mais au vu de la multiplication des panneaux appelant à la vigilance, on peut supposer le pire.

    Le fait que cette politique nouvelle constitue un revirement complet par rapport aux politiques précédentes du «tout automobile» qui prévalaient, notamment en imposant la création de places de stationnement pour tout logement construit, peut sembler un peu brutale.

    Qu’il soit permis à un mauvais esprit, à partir de ces observations, de développer quelques réflexions personnelles.

    Plus précisément, la politique ici en œuvre semble davantage une politique contre l’automobiliste qu’une politique en faveur de la qualité de l’environnement. J’en veux pour preuve le fait que les vélos souffrent aussi des interdictions de tourner à gauche à répétition qui demandent de grands détours pour atteindre son but de destination. J’en veux pour preuve également que les véhicules électriques ne sont pas autorisés à emprunter les couloirs de bus alors qu’ils constituent une alternative non polluante. N’oublions pas que le véhicule particulier demeure le meilleur moyen de circulation des lors que l’on doit transporter quelque chose, qu’ils sont nécessaires pour de nombreux handicapés, et pour ceux qui ne bénéficie pas de transports en commun de substitution adéquats.

    Dans le 14 arrondissement, quartier pilote en terme de circulation, on s’est employé à casser le maillage de la circulation pour rendre celle-ci impossible aux non riverains. Le trafic automobile de jadis a fait place à des rues quasi désertes. On a transformé des rues maillées de Paris, qui faisaient l’envie de toutes les villes nouvelles, en dessertes de lotissement pavillonnaire de grande banlieue. Est-ce là une vision positive de l’espace public, annexé pour les besoins des riverains ?

    La volonté de réduire fortement les flux circulatoires  à l’avenue du Général Leclerc, dernière grande artère Nord Sud du 14eme arrondissement fut un point d’orgue du processus de transformation. Le banlieusard mal desservi par les transports en commun, le petit artisan et sa fourgonnette, verront leur liberté de déplacement se dégrader fortement dès lors qu’ils devront se rendre à Paris. La politique de la ville semble ici  privilégier systématiquement le résident sur le nomade en se livrant à une appropriation masquée de l’espace public à destination du seul voisinage.  Si on voulait trouver une illustration du déclin de la France et du repliement sur soi, on ne saurait viser plus juste.

    Ces dysfonctionnements ne sont pas simplement les petites erreurs provisoires qui accompagnent toute action volontariste. Il ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions et les moyens de les mettre en œuvre pour garantir une bonne politique. Toute politique doit être communicationnelle, soit,  mais dans le trio intention – action – médiatisation, on ne sait plus ici quel terme est au service des autres. Il semble que désormais, dans ce siècle, les détails des projets soient systématiquement négligés par rapport au thème général, vecteur de communication.

    Quand il s’agit par exemple de créer des transports en commun en site propre (personne ne s’oppose à la propreté) les transformations engagées conduisent à une moindre utilisation de l’espace public, c’est à dire à un moins bon rendement global. Faudrait –il nous dire si l’on considère encore la mobilité comme une valeur cardinale de la démocratie, de la liberté, et de la puissance.

    N’y a-t-il pas une dose de soupçon, déployé à l’encontre de l’automobiliste, naguère porteur de la croissance économique, aujourd’hui relégué comme individualiste nanti et pollueur de surcroît, mauvais esprit en somme.

    Désormais, on peut entrevoir la possibilité d’entrer dans une nouvelle phase de la transformation de la ville.